Roman Calendar

lundi 31 mars 2008

Pirandello, l'Etranger (2)

Et tout vice-consul qu’il fût, certains jours, quand la pêche n’avait pas été bonne, il courait le risque d’aller se coucher sans dîner, ainsi que sa nièce, une pauvre orpheline qu’il avait hérité de son frère, si chanceux lui aussi, qu’à peine débarqué en Amérique, il y était mort de la fièvre jaune. Il est vrai qu’en compensation, Don Paranza avait la médaille des vétérans de 1848 et de 1860 !

La main crispée sur sa canne à pêche, l’œil fixé sur le liège, absorbé dans les souvenirs de sa longue existence, il hochait la tête, avec amertume. Il contemplait les deux jetées du nouveau port, tendues vers la mer comme deux bras démesurés, et encadrant le Vieux-Môle, minuscule, qui avait l’honneur, à cause de ses quais, de garder le siège de la capitainerie et le phare principal avec sa tour blanche.

Tout le pays se déployait sous ses yeux, depuis la tour du Rastiglio, au pied du môle, jusqu’à la gare, là-bas, tout au bout, et il lui semblait que, pareilles aux années et aux malheurs qui s’entassaient sur lui, toutes ces maisons s’étaient entassées l’une contre l’autre, l’une sur l’autre, grimpant jusqu’au bord du plateau marneux qui surplombe la plage, couronné d’un petit cimetière blanc, avec la mer devant, la campagne derrière.

La marine, illuminée par le soleil couchant, resplendissait de toute sa blancheur, tandis que la mer d’un vert sombre, d’un vert de bouteille près du rivage, s’étendait au loin, mouvante et dorée, jusqu’à l’horizon que Punta Bianca limite à l’orient et le cap Rossello à l’occident.

L’odeur de la mer sur les brisants de la jetée, l’odeur du vent saumâtre qui, souvent, le matin, quand il partait pour la pêche, l’assaillait avec furie, lui coupait le souffle, l’empêchait d’avancer, faisait battre sa veste et son pantalon autour de lui comme des étendards, l’odeur particulière que la poussière de soufre, partout répandue, donne à la sueur des hommes au travail, cuits par le soleil africain, l’odeur du goudron, l’odeur du sel, le remugle qui s’exhalait sur la plage de la fermentation des paquets d’algues sèches mêlées au sable mouillé, toutes les odeurs de ce port qui avait grandi en même temps que lui, étaient, pour Don Paranza, toutes chargées de souvenirs et, malgré son destin misérable, il songeait avec désolation que ces années, qui avaient suffi à le conduire à la vieillesse, marquaient seulement la première enfance de la ville. C’était si vrai que, chaque jour, les jeunes donnaient un nouvel essor au pays, et, trop vieux pour y participer, il restait en arrière, à l’écart, sans que nul se souciât de lui. Tous les matins, à l’aube, du haut de la rampe de Montoro, l’appel trois fois répété d’un crieur à la voix de stentor rassemblait les travailleurs sur la plage !

– Hommes de mer, au travail.

Don Paranza, tous les matins, du fond de son lit, entendait les trois appels et il se levait à son tour, mais c’était pour se rendre à la pêche, en grognant. Tout en s’habillant, il écoutait grincer les charriots chargés de soufre, les charriots sans ressorts, bardés de fer et cahotant sur la chaussée de la grand’route poussiéreuse, peuplée d’ânes étiques qui arrivent par bandes, portant un pain de soufre de chaque côté du bât. Et quand il descendait sur la plage, il voyait les spigonare, leur voile triangulaire à demi amenée contre le mât, prêtes à être emplies au-delà du bras de levant, tout le long du rivage, là où s’alignent les dépôts de soufre. Devant les tas, on installait déjà les bascules, sur lesquelles le soufre est pesé, avant d’être chargé sur les épaules des hommes de mer, protégées par un sac, posé comme un capuchon sur leur tête. Nu-pieds, en pantalon de toile, les hommes de mer, portaient leur chargement aux spigonare, enfonçant dans l’eau jusqu’à la ceinture, et les spigonare, à peine remplies, déployaient leur voile et allaient vider le soufre dans les cargos ancrés dans le port, ou plus loin. Et cela durait jus-qu’au coucher du soleil, quand le siroco n’empêchait pas la manœuvre.

Et Don Paranza ? Sa ligne à la main, il trempait le fil ! Et de temps à autre, secouant avec rage sa ligne, il grommelait dans sa barbe de laine blanche, qui contrastait avec le brun de sa peau cuite au soleil et le vert de ses yeux pleins d’eau :

– Porco diavolo ! Ils ne laissent même plus de poissons dans la mer !

à suivre...

dimanche 30 mars 2008

La valse des fleurs



Tchaïkovsky ! Histoire de fêter le printemps et de l'aider à éclore, clic droit sur le printemps et ouverture dans un nouvel onglet!

samedi 29 mars 2008

L'Etranger de Pirandello

Cherche que tu chercheras, impossible de mettre la main sur le moindre vêtement… Pietro Milio (Don Paranza , comme on le surnommait dans le pays) lançait à tous les échos son juron favori : « Porco diavolo », sans y trouver le soulagement espéré. Pour mieux décharger sa bile, il s’approcha de la cloison qui séparait sa chambre de celle de sa nièce Venerina :
– Tu dors, hurla-t-il. À ton aise… Reste au lit jusqu’à midi si ça te plaît. Mais je te préviens que ton imbécile d’oncle ne te rapportera pas de poissons d’aujourd’hui…
C’était la vérité vraie… Don Paranza, ce matin-là, n’irait pas à la pêche, ainsi qu’il faisait chaque jour depuis des années. Il lui fallait – porco diavolo – s’habiller « en dimanche », comme il disait, en sa qualité de vice-consul de Suède et Norvège. Et cette Venerina, parfaitement au courant, depuis la veille, de l’arrivée d’un bateau norvégien, ne lui avait sorti ni chemise empesée, ni cravate, ni jumelles, ni redingote, rien de rien.
En fait de chemises, dans les deux tiroirs du haut de la commode, il avait trouvé des cafards que l’épouvante avait mis en fuite :
– Ne vous dérangez pas ! Ne vous dérangez pas !… Et pardon de l’indiscrétion !
Dans le dernier tiroir, une chemise, la seule et l’unique, amidonnée depuis une éternité, dont l’empois avait jauni. Don Paranza la sortit du tiroir du bout des doigts, avec toute espèce de précautions : il redoutait que les insectes des deux étages supérieurs n’y eussent élu domicile. Son regard tomba sur le col, le plastron et les poignets effilochés :
– Allons, bon ! fit-il, voilà que la barbe leur a poussé, maintenant !
Et il les frotta avec un bout de bougie pour égaliser les fils.
Il était évident que les autres chemises blanches (il ne devait pas y en avoir beaucoup !) attendaient depuis des mois dans la corbeille au linge sale les navires marchands de Suède et de Norvège.
Vice-consul de Suède et Norvège à Port-Empédocle, Don Paranza faisait, en même temps, fonction d’interprète sur les rares bateaux Scandinaves qui venaient prendre un chargement de soufre. Une chemise empesée par bateau : deux ou trois par an en tout. Ce n’était pas l’amidon qui le ruinait.
Il n’aurait pu vivre, bien entendu, des maigres revenus d’une profession aussi intermittente, sans l’appoint de sa pêche quotidienne et d’une misérable pension que lui valait sa qualité de « victime des Bourbons… » Sa stupidité ne datait pas d’hier, – il se plaisait à le répéter, – il avait toujours été idiot : il avait combattu pour le pays, pour la liberté et il s’était ruiné.
Il avait quitté Agrigente pour descendre habiter la Marine, comme on nommait alors la demi-douzaine de bicoques dressées sur la plage et contre lesquelles, les jours de siroco, les vagues venaient se briser furieusement. Il se rappelait l’époque où Port-Empédocle ne possédait que son petit môle, connu à présent sous le nom de Vieux-Môle, et la haute tour, sombre, carrée, bâtie peut-être pour défendre la côte au temps des Aragonais et où l’on enfermait les forçats.
Pietro Milio, à cette époque bénie, gagnait tout l’argent qu’il voulait. Il n’y avait pour tous les navires marchands qui relâchaient dans le port que deux interprètes : lui et cette grande perche d’Agostino di Nica, qui était toujours sur ses talons pour ramasser les miettes qu’il laissait tomber. Les capitaines au long cours, quelle que fût leur nationalité, devaient se contenter des trois mots de français qu’il leur jetait à la face, avec le plus pur accent sicilien : Mossiure, oune chosse, etc…
Ah ! s’il n’y avait pas eu la patrie, l’amour sacré de la patrie !
En réalité, la seule sottise de Don Paranza était d’avoir eu vingt ans en 1848. S’il en avait eu dix ou cinquante, il n’aurait pas gâché sa vie. Sa faute était donc bien involontaire.

Compromis, dans un complot politique, il avait, en pleine prospérité, dû s’exiler à Malte. Il avait eu, ensuite, la stupidité d’avoir trente-deux ans en 1860 : c’était la conséquence naturelle de la première. À Malte, établi à La Vallette, il s’était fait, au cours de ces douze ans, une jolie position, avec l’aide d’autres émigrés. Mais cette année 1860 ! Il frémissait encore rien que d’y repenser. À Milazzo, avec Garibaldi, pan ! il avait reçu une balle en pleine poitrine ! Et dire qu’il n’avait pas su profiter du cadeau que lui faisait ce sicaire des Bourbons : il n’en était pas mort.
Quand il revint, Port-Empédocle s’était miraculeusement agrandi aux dépens de la vieille Agrigente, allongée sur sa colline haute, à quatre milles de la mer, résignée à mourir d’une mort lente, pour la quatre ou cinquième fois, et contemplant d’un côté les ruines de l’antique cité grecque, de l’autre le port en train de naître. Milio avait trouvé là, se livrant une concurrence acharnée, une foule d’interprètes, plus savants les uns que les autres.
Agostino di Nica, demeuré seul après son départ pour Malte, s’était rempli les poches et avait bientôt abandonné la profession d’interprète pour s’adonner au commerce : un petit vapeur qu’il avait acheté faisait la navette entre Port-Empédocle et les deux îles voisines de Lampedusa et de Pantelleria.
– Agostino, et la patrie ?
Di Nica, sérieux comme un pape, donnait une tape à son gousset ; la monnaie tintait :
– Ma patrie, la voilà !
Mais l’argent ne l’avait pas changé, il faut bien l’avouer : pas plus fier qu’avant ! Son nez non plus n’avait pas changé, un nez énorme, présent gratuit de marâtre nature. Un nez, ça ? Un foc. Une voile de perroquet ! Et en guise de couvre chef, toujours la même casquette de toile, à visière de cuir. Quand on lui demandait pourquoi, riche comme il l’était, il ne s’accordait pas le luxe de porter chapeau, il répondait invariablement :
– Ce n’est pas pour le chapeau, c’est pour les conséquences du chapeau !
L’heureux homme !
– Tandis que moi, pensait Don Paranza, avec toute ma misère, il me faut passer une redingote et m’étrangler dans un faux-col dur. Je suis vice-consul !


... (petit clic sur le titre du message, tout le livre y est)

dimanche 23 mars 2008

Bonne nouvelle : Il y en a quand même quelques-uns qui aiment apprendre !

Ce n'est pas le moment de les décourager !



"Action symbolique lors de la venue de l'inspecteur général des arts plastiques dans un lycée pour protester contre la réduction inquiétante des moyens attribués aux lycées français."sauvonsnosoptions.walrey.fr

samedi 22 mars 2008

Hep ! Stendhal, une petite question...

Stendhal est mort dans la nuit du 22 mars 1842, après un malaise en pleine rue de Paris, à sept heures du soir. Ce soir, ça fera donc 166 ans.
Dans La Chartreuse de Parme, en 1839, intervenant abruptement dans son récit, il écrivait : "La politique dans une oeuvre littéraire c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser son attention.
Nous allons parler de fort vilaines choses, et que, pour plus d'une raison, nous voudrions taire; mais nous sommes forcés d'en venir à des événements qui sont de notre domaine, puisqu'ils ont pour théâtre le cœur des personnages.
"

Ah ! ah ! ah ! Stendhal, de qui te moques-tu ? Ne faut-il pas justement savoir à point nommé tirer "un coup de pistolet au milieu d'un concert" ?
Ton époque aussi était bien turbulente et tu le savais bien !

vendredi 21 mars 2008

au XIIe siècle déjà ...

Il vit jusqu'à trois cents jeunes filles,
Occupées à divers travaux.
Elles travaillaient des fils d'or et de soie
Chacune de son mieux,
Mais dans une telle misère
Que beaucoup étaient sans coiffe et sans ceinture...
Leurs robes étaient déchirées,
Et leurs chemises sales dans le dos.
De faim et de mal elles avaient
Cous grêles et visages pâles.

Nous tisserons toujours des étoffes de soie
Et n'en serons jamais mieux vêtues.
Toujours nous serons pauvres et nues
Et toujours nous aurons faim et soif ;
Jamais nous ne saurons gagner
Assez pour avoir à manger.
Nous avons du pain à grand-peine,
Un peu le matin, moins le soir ;
Car jamais du travail de ses mains,
Chacune n'aura pour vivre
Plus de quatre deniers à la livre.
Avec cela nous ne pouvons pas
Avoir assez de nourriture et d'étoffe ;
Car qui gagne chaque semaine
Vingt sols n'est pas hors de peine.
Sachez-le bien :
Il n'y a aucune de nous
Qui gagne vingt sous ou davantage.
Un duc serait riche avec cela !
Notre pauvreté est grande
Et il est riche de notre misère
Celui pour qui nous peinons.
Nous veillons une grande partie de la nuit
Et tout le jour pour avoir un gain

Mais que vous raconterai-je ?
Nous avons tant de mal et de honte
Que je ne puis vous en dire le cinquième.


Le chevalier au lion, CHRESTIEN DE TROYES

jeudi 20 mars 2008

Belle leçon : Bonheur Sisyphéen

Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.

C'est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m'intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même. Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s'enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.

Si ce mythe est tragique, c'est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l'espoir de réussir le soutenait ? L'ouvrier d'aujourd'hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n'est pas moins absurde. Mais il n'est tragique qu'aux rares moments où il devient conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition : c'est à elle qu'il pense pendant sa descente. La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.

Si la descente ainsi se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie. Ce mot n'est pas de trop. J'imagine encore Sisyphe revenant vers son rocher, et la douleur était au début. Quand les images de la terre tiennent trop fort au souvenir, quand l'appel du bonheur se fait trop pressant, il arrive que la tristesse se lève au cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher, c'est le rocher lui-même. Ce sont nos nuits de Gethsémani. Mais les vérités écrasantes périssent d'être reconnues. Ainsi, Œdipe obéit d'abord au destin sans le savoir. A partir du moment où il sait, sa tragédie commence. Mais dans le même instant, aveugle et désespéré, il reconnaît que le seul lien qui le rattache au monde, c'est la main fraîche d'une jeune fille. Une parole démesurée retentit alors : " Malgré tant d'épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien. " L'Œdipe de Sophocle, comme le Kirilov de Dostoïevsky, donne ainsi la formule de la victoire absurde. La sagesse antique rejoint l'héroïsme moderne.

On ne découvre pas l'absurde sans être tenté d'écrire quelque manuel du bonheur. " Eh ! quoi, par des voies si étroites... ? " Mais il n'y a qu'un monde. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables. L'erreur serait de dire que le bonheur naît forcément de la découverte absurde. Il arrive aussi bien que le sentiment de l'absurde naisse du bonheur. " Je juge que tout est bien ", dit Œdipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l'univers farouche et limité de l'homme. Elle enseigne que tout n'est pas, n'a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l'insatisfaction et le goût des douleurs inutiles. Elle fait du destin une affaire d'homme, qui doit être réglée entre les hommes.

Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. De même, l'homme absurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. Dans l'univers soudain rendu à son silence, les mille petites voix émerveillées de la terre s'élèvent. Appels inconscients et secrets, invitations de tous les visages, ils sont l'envers nécessaire et le prix de la victoire. Il n'y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit.

L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus de cesse. S'il y a un destin personnel, il n'y a point de destinée supérieure ou du moins il n'en est qu'une dont il juge qu'elle est fatale et méprisable. Pour le reste, il se sait le maître de ses jours. A cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l'origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore.

Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Camus; Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942.

mardi 18 mars 2008

À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
[...]
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
[...]
Adieu Adieu
Soleil cou coupé

Apollinaire
, Alcools

vendredi 14 mars 2008

Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi

Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi :
Qu'à quelque enfant, ces ruzes on emploie,
Qui n'a nul goust, qui n'entend rien qu'il oye :
Je sçay aymer, je sçay hayr aussi.

Contente toy de m'avoir jusqu'ici
Fermé les yeux ; il est temps que j'y voie,
Et que meshui las et honteux je soye
D'avoir mal mis mon temps et mon souci.

Oserois tu, m'ayant ainsi traicté,
Parler à moy jamais de fermeté ?
Tu prendz plaisir à ma douleur extreme ;

Tu me deffends de sentir mon tourment,
Et si veux bien que je meure en t'aimant :
Si je ne sens, comment veus tu que j'aime ?
Etienne de la Boétie, vingt-neuf sonnetz

mercredi 12 mars 2008

23 ans déjà



le 12 mars ...
1610 : Galilée publie Sidereus nuntius et révolutionne l'astronomie en une centaine de pages !

1882 ! Marie Taglioni danse la Sylphide, premier grand ballet romantique, à l'Opéra de Paris.

Comment ne pas avoir la tête dans les étoiles lorsque l'on est né le 12 mars ?
Allons, petit cadeau poétique :

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

Arthur Rimbaud

dimanche 9 mars 2008

samedi 8 mars 2008

Un olivier




Aujourd'hui, mon fils m'a offert pour mon anniversaire (passé de plusieurs jours mais peu importe)un petit olivier. Etrange comme ça me touche. Il faut dire que j'ai souvent exprimé ma fascination devant les frondaisons vert pâle et les troncs tortueux des oliviers provençaux. Il est vrai que cet arbre est chargé de symboles, paix, réconciliation, victoire, longévité, espérance, force, fidélité et même toute la Méditerranée ... Eh ! bien ! me voila chargée d'une lourde responsabilité : préserver et faire grandir, dans mon petit havre breton, ce jeune rejeton d'une espèce millénaire et de dimension universelle ! Tout bon conseil sera bienvenu !
En attendant, histoire d'imaginer l'avenir :

vendredi 7 mars 2008

Enfin...

vendredi soir ! Ouf ! j'ai cru que ça n'arriverait jamais !
Lettre à Elise Ludwig van Beethovven. Hmmmmmmmmm ! ça fait du bien d'entendre ça !

jeudi 6 mars 2008

boîtes à images

J'ai mis les vidéos des Rimaquoi (devinettes culturelles) sur mes blogs pédagogiques et miracle ! en lycée comme en collège, mes élèves sont restés scotchés, ils adooooorent Molière ! Merci les Rimaquoi !
Cela dit, le texte passera-t-il aussi bien ? J'ai quelques doutes : mes videovores savent à peine lire ! Voir : http://entouteslettres-jb.blogspot.com/2008/02/la-scurit-de-lemploi_02.html

dimanche 2 mars 2008

2008 année internationale des langues : 7000 langues à sauver


« Le premier instrument du génie d'un peuple est sa langue », estimait l’écrivain français Stendhal. Alphabétisation, connaissances, intégration sociale… tout passe par la langue, qui incarne l’identité nationale, culturelle, parfois religieuse, des individus. Elle constitue une dimension fondamentale de l’être humain. Pourtant, les spécialistes estiment que dans quelques générations, plus de la moitié des 7 000 langues parlées dans le monde risquent d’avoir disparu, faute d’être présentes dans l’administration, l’éducation et les médias. C’est la raison pour laquelle, les Nations Unies ont déclaré 2008 Année internationale des langues, lancée par l’UNESCO le 21 février, Journée internationale de la langue maternelle.
Dossier réalisé avec le soutien du groupe intersectoriel pour les langues et le multilinguisme de l’UNESCO.
http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=41348&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

samedi 1 mars 2008

asphodèles













"Nous sommes descendus dans la banlieue d’Alger. La plage n’est pas loin de l’arrêt d’autobus. Mais il a fallu traverser un petit plateau qui domine la mer et qui dévale ensuite vers la plage. Il était couvert de pierres jaunâtres et d’asphodèles tout blancs sur le bleu déjà dur du ciel. Marie s’amusait à en éparpiller les pétales à grands coups de son sac de toile cirée. Nous avons marché entre des files de petites villas à barrières vertes ou blanches, quelques-unes enfouies avec leurs vérandas sous les tamaris, quelques autres nues au milieu des pierres. Avant d’arriver au bord du plateau, on pouvait voir déjà la mer immobile et plus loin un cap somnolent et massif dans l’eau claire. Un léger bruit de moteur est monté dans l’air calme jusqu’à nous. Et nous avons vu, très loin, un petit chalutier qui avançait, imperceptiblement, sur la mer éclatante. Marie a cueilli quelques iris de roche. De la pente qui descendait vers la mer nous avons vu qu’il y avait déjà quelques baigneurs." (L'Etranger, Camus)

« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer.
Nous arrivons par le village qui s’ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d’été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent des murs des villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes… »
(Noces à Tipasa, Gallimard, 1959)