Roman Calendar

mercredi 28 janvier 2009

Grève nationale

Voici l'article du Monde diplomatique

Transports, métallurgie, poste, télécommunications, santé, énergie, éducation nationale, information… : la liste des secteurs annonçant une forte mobilisation n’a cessé de s’allonger dans la perspective de la grève générale organisée jeudi 29 janvier à l’appel de huit syndicats. « Même les salariés d’Euronext, l’opérateur de la Bourse de Paris, sont appelés à cesser le travail », s’étonne Le Figaro (26 janvier 2009).
C’est peu dire que le contexte économique entretient la colère. Pour la seule journée du 26 janvier, les multinationales (Caterpillar, Pfizer, Philips…) ont annoncé 72 500 suppressions de postes. « Alors qu’ils n’en sont en rien responsables, les salariés, demandeurs d’emploi et retraités sont les premières victimes de cette crise », explique la déclaration commune CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FO, FSU, Solidaires, UNSA.
Ces organisations syndicales jugent « intolérable et inadmissible » que les sommes astronomiques engagées par l’Etat pour secourir les banques et les entreprises servent à rétablir les marges. Elles réclament que priorité soit donnée à l’emploi, aux salaires, à la protection sociale, aux services publics, et demandent une réglementation plus stricte des activités financières afin de « mettre un terme à la spéculation, aux paradis fiscaux, à l’opacité du système financier international et encadrer les mouvements de capitaux ». Ces revendications à spectre large dissuaderont-elles les éditorialistes de fustiger le « corporatisme » des syndicats ?

Alors demain, un nouvel espoir ?

mercredi 21 janvier 2009

La Route de Cormac Mac Carthy

La Route de Cormac Mac Carthy a obtenu le Prix Pulitzer du roman en 2007. Certes, un prix, fut-ce le Pulitzer, n'est pas une garantie. Souvenons-nous tout de même que ce même prix a récompensé Autant en emporte le vent de Margareth Mitchell en 1937, Les raisins de la colère de John Steinbeck en 1940, Le Vieil homme et la mer d'Hemingway en 1953 et j'en passe.


La Route pourtant ne me disait rien qui vaille, c'est un roman qu'on m'a conseillé, puis prêté mais dans lequel j'ai eu du mal à entrer : cette atmosphère de no future, cette route sans destination hormis un très hypothétique Sud, ce paysage désespérément gris, calciné, couvert de cendres, ce froid, cette pluie glacée, ce grésil, cette mer de plomb, ces hordes sauvages des humains survivants en quête de nourriture dans un monde où tout est mort, même les poissons dans la mer, les oiseaux, les souris, chats ou chiens, bref cet univers d'après, bien après, la fin du monde n'était pas de nature à me séduire. A côté de cela, l'absurde de Camus, la « petite aube où [Meursault sera] justifié » sont apaisants, rassérénants, presque réconfortants.


Les amateurs de science-fiction _vous l'avez deviné, je n'en suis pas_ croiront peut-être trouver là une N-ième version d'un monde futur ; qu'ils se détrompent, La Route n'est pas un roman de science-fiction.


C'est ainsi que peu à peu, on s'attache à l'unique protagoniste, L'homme -il n'a pas d'autre nom et n'en a pas besoin_ et à son protégé, son enfant, celui qu'il faut à tout prix défendre contre les cannibales, le froid, la faim, la folie, la déshumanisation,... Cet enfant, dont on se demande parfois s'il n'est pas simplement le fruit de l'imagination du héros, c'est le « porteur de feu », le beau, le bien. Si le titre de « porteur de feu » dont il se trouve affublé, se justifie plutôt mal dans le roman, nul doute qu'il représente cependant le beau et le bien dans cet univers désespérément gris, sombre, sauvage.


La fin du roman m'a laissée perplexe : que penser de ce pseudo Rambo qui vient se substituer à L'homme, de cette pseudo-Sainte Famille qui l'accueille, de ces prières à Dieu, jusque là, en tous cas, resté sourd ou simplement absent ? Camus, lui, avait une réponse à l'absurde, celle de Mac Carthy, elle, ne me paraît pas bien convaincante et plouf, revoilà l'humanité perdue dans l'impossible quête du sens.

Si vous avez l'occasion de lire aussi ce roman, votre avis m'intéresse.

samedi 17 janvier 2009

Il s’en passe des choses

Il s’en passe des choses dans ma cité.
Il n’y a qu’à regarder.
Moi, un jour, j’ai dit: “J’arrête, je regarde.”
J’ai posé par terre mes deux sacs.
Je me suis assis. J’ai regardé.

Les gens venaient
Les gens marchaient
Les gens passaient
Les gens tournaient
Les gens filaient
Les gens glissaient
Les gens dansaient
Les gens parlaient
Gesticulaient
Les gens criaient
Les gens riaient
Les gens pleuraient
Disparaissaient.

Il s’en passe des choses dans ma cité.
Il n’y a qu’à regarder.
On voit de tout, on peut tout voir.
Mais ce qu’on ne voit jamais dans ma cité, c’est un regard.
Un regard qui vous regarde et qui s’attarde.

Les gens naissaient
Les gens vivaient
Les gens mouraient.

Et moi, je restais sur mon banc de pierre, encadré par mes deux sacs.
Je regardais.
C’est merveilleux: partout où il y a des femmes, partout où il y a des hommes,
Partout il y a la vie.
J’aurais dû me lever. Leur tendre la main.
Leur dire: “Salut. Bonjour! J’existe.
Et vous? Vous existez?”
Je suis resté assis.
Le plus souvent, c’est ainsi que les choses se passent.


Guy Foissy


samedi 10 janvier 2009

parlare e facile



Parler est facile, et tracer des mots sur la page,

en règle générale, est risquer peu de chose :

un ouvrage de dentellière, calfeutré,
paisible (on a pu même demander
à la bougie une clarté plus douce, plus trompeuse),
tous les mots sont écrits de la même encre,
« fleur » et « peur » par exemple sont presque pareils,
et j’aurai beau répéter « sang » du haut en bas
de la page, elle n’en sera pas tachée,
ni moi blessé.

Aussi arrive-t-il qu’on prenne ce jeu en horreur,
qu’on ne comprenne plus ce qu’on a voulu faire
en y jouant, au lieu de se risquer dehors
et de faire meilleur usage de ses mains.

Cela,
c’est quand on ne peut plus se dérober à la douleur,
qu’elle ressemble à quelqu’un qui approche
en déchirant les brumes dont on s’enveloppe,
abattant un à un les obstacles, traversant,
la distance de plus en plus faible – si près soudain
qu’on ne voit plus que son mufle plus large
que le ciel.

Parler alors semble mensonge, ou pire : lâche
insulte à la douleur, et gaspillage
du peu de temps et de forces qui nous reste.

Philippe Jaccottet - Chant d'en bas - 1977.


lundi 5 janvier 2009

Les Mille maisons du rêve et de la terreur

Voilà, je l'ai fini : Ce roman d'Atiq Rahimi a été publié en 2002, il est traduit du persan et comme dans Terre et cendres, il a pour contexte l'Afghanistan à l'époque de la domination soviétique. Mille maisons renvoie au labyrinthe dont on ne connaît ici ni l'entrée, ni l'issue : d'emblée, le narrateur s'y trouve perdu, entre réalité terrifiante de l'Afghanistan puis du Pakistan des années 80 et sommeil ou coma, délire, légendes persanes, textes coraniques, brumes artificielles de l'alcool (la vodka afghano-russe) puis du hashish (l'herbe du pauvre au Pakistan), entre vérité et illusion et il entraîne avec lui le lecteur dans les méandres de ce labyrinthe qui tels ceux du tapis dans lequel voyagera le narrateur pour fuir la terreur suscitent tantôt la rêverie, tantôt la terreur.
Déjà, le sort des femmes (la mère du narrateur, son hôtesse) est bien illustré, la dimension polémique est déjà là, encore en partie implicite ce qui ne sera plus le cas dans Syngué Sabour. A nouveau, et c'est ce qui me frappe chez cet auteur, c'est surtout la poésie qui se dégage du récit, les puissantes images dont il frappe l'esprit du lecteur, un jeune homme transformé en vieillard-nourrisson, un tapis qui entrelace en rouge et noir, la nostalgie de la mehmânkhana, de la maison familiale, du foyer et la peur sourde d'un écrasement, d'une violence à peine évoquée et d'autant plus effrayante...
Sur le site de l'éditeur, j'ai retrouvé les premières pages pour donner un aperçu :

http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ftp/pdf/5620.pdf

NB : L'auteur lui aussi a fui l'Afghanistan en 84 pour se réfugier au Pakistan, avant de venir en France. Ce livre n'est pas pour autant une autobiographie bien sûr.

dimanche 4 janvier 2009

au gui l'an neuf !




Bonne année à toutes les choses,

Au monde, à la mer, aux forêts.


Bonne année à toutes les roses


Que l’hiver prépare en secret.

Bonne année à tous ceux qui m’aiment

Et qui m’entendent ici-bas.

Et bonne année aussi, quand même,

À tous ceux qui ne m’aiment pas.

Rosemonde Gérard

samedi 3 janvier 2009

Terre et cendres


Voilà, je n'ai pas résisté longtemps, j'ai aussi lu Terre et cendres. C'est aussi et encore plus un tout petit livre mais vraiment bouleversant : un grand-père sur un pont attend, longtemps, longtemps, le passage d'une voiture qui pourra le conduire à son fils. A ses côtés, son petit-fils qui ne comprend pas comment la guerre a pu ôter sa voix à son grand-père comme au vigile, sur le pont et même son bruit au caillou qu'il frappe contre un autre caillou. Et enfin, une voiture passe et emporte le grand-père à travers les étendues désertes vers la mine où travaille son fils et les doutes qui assaillent le vieil homme : doit-il vraiment lui dire ce qui est arrivé? Comment pourra-t-il donner un coup de couteau dans le cœur de son propre fils? ...
On trouve les premières pages sur le site de l'éditeur ici. Il s'agit cette fois d'un livre écrit en persan afghan puis traduit. Dans cet extrait d'un entretien, Atiq Rahimi présente ses "sources" :
« Nous sommes en 1981, c’est un matin, j’emprunte depuis deux semaines une piste poussiéreuse qui mène à une mine de charbon dans le nord de l’Afghanistan. Je suis là afin de réaliser un reportage sur la vie ouvrière des mineurs. Avant de prendre la piste de la mine, je suis sur un pont, j’aperçois un vieillard adossé au parapet, le regard perdu. À côté de lui, un petit garçon regarde curieusement les passants et les camions qui traversent le pont. Ces deux regards me clouent sur place. Un sentiment étrange m’envahit... Je vois dans leurs yeux toute la catastrophe d’une guerre. L’égarement d’une génération perdue dans les yeux du vieux. Dans le regard de l’enfant, l’interrogation de l’avenir et du devenir. Je veux les prendre en photo, malheureusement ou pas, l’appareil photo ne fonctionne pas. Ces deux visages restent gravés dans mon esprit. Vingt ans après j’emprunte de nouveau la piste poussiéreuse de la mine... »
Ce roman me rappelle tantôt Intérieur de Maeterlink, tantôt La petite fille de M Linh de Philippe Claudel, mais il ne se confond avec aucun : ce livre est à la fois un émouvant témoignage de l'horreur vécue par l'Afghanistan à l'époque soviétique et un récit de portée universelle, sublime. Vraiment Atiq Rahimi mérite bien son prix Goncourt !
Il me reste à finir Les Mille maisons du rêve et de la terreur et j'aurai presque fait à l'envers le parcours d'une oeuvre sans égale.