Roman Calendar

jeudi 20 août 2009

Je vole ! Ecoutez tous ! Je vole ! Je vole !


La nuit suivante, ce fut Kirk Maynard le Goéland qui arriva du clan, boitillant, traînant son aile gauche sur le sable. Il s’effondra aux pieds de Jonathan.

— Aidez- moi, dit-il très bas, d’une voix agonisante. Plus que n’importe quoi je désire voler !

— Alors viens, dit Jonathan. Monte avec moi bien loin de la Terre, et nous allons tout de suite essayer.

— Mais mon aile ? Vous ne comprenez pas ? Mon aile est paralysée !

— Maynard le Goéland, tu es libre d’être à l’instant toi – même, vraiment toi – même et rien ne saurait t’en empêcher. Ainsi dit la Loi du Grand Goéland, qui est fondamentale.

— Voulez-vous dire que je suis capable de voler quand même ?

— Je dis que tu es libre.

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Kirk Maynard le Goéland, sans effort apparent, déploya ses ailes et s’enleva dans la nuit noire. Les goélands du clan furent tirés de leur sommeil par le cri qu’il poussa à deux cents mètres de hauteur, de toute la force de ses poumons.

— Je vole ! Ecoutez tous ! Je vole ! Je vole !

Extrait de Jonathan Livingstone Le Goéland, pages 102-104
Une étude ici.

dimanche 16 août 2009

Soir d'août

Ah ! Raskolnikov

Il resta couché ainsi très longtemps. Il lui arrivait de se réveiller à moitié et, alors, il remarquait qu’il faisait nuit depuis longtemps, mais il ne lui venait pas à l’idée de se lever. Enfin, il constata qu’il faisait jour. Il était couché sur le dos, à plat sur le sofa, encore engourdi par sa récente léthargie. Des hurlements épouvantables lui déchirèrent les oreilles ; ils venaient de la rue, comme d’ailleurs chaque nuit vers trois heures. Ce vacarme le réveilla : « Ah ! Voilà que les ivrognes quittent les tavernes », pensa-t-il, « il doit être trois heures » ; et soudain il sauta sur ses pieds, comme si quelqu’un l’avait arraché du sofa. « Comment ! Trois heures déjà ! » Il s’assit sur le divan et alors, tout à coup, se rappela tout ce qui s’était passé.

Au premier instant, il crut qu’il devenait fou. Un froid terrible l’envahit ; mais ce froid provenait de la fièvre qui s’était emparée de lui pendant son sommeil. Les frissons le secouèrent si fort que ses dents claquèrent et qu’il se mit à trembler tout entier. Il ouvrit la porte et écouta : tout le monde dormait dans la maison. Il examinait avec stupéfaction sa chambre et sa personne et il ne comprenait pas comment il avait pu rentrer la veille au soir sans fermer la porte au crochet, et comment il avait pu se jeter sur le divan, non seulement sans se déshabiller, mais même sans enlever son chapeau : celui-ci avait roulé par terre et était resté là, près du coussin. « Si quelqu’un était entré, qu’aurait-il pensé ? Que je suis ivre, mais... » Il s’élança vers la fenêtre. Il y avait assez de clarté pour lui permettre de s’examiner des pieds à la tête et il se hâta de chercher des traces. Mais ce n’était pas encore ce qu’il fallait. Tremblant de fièvre, il se déshabilla et se mit à examiner tous ses vêtements. Il retourna tout, scruta chaque fil à l’endroit et à l’envers et sans trop se fier à lui-même, répéta l’opération trois fois. Mais il n’y avait rien, visiblement, aucune trace, sauf à l’endroit où son pantalon était effiloché. Là, les franges étaient souillées de sang coagulé. Il saisit son grand couteau pliant et trancha ces franges. Il n’y aurait probablement plus rien. Soudain, il se souvient qu’il avait toujours en poche la bourse et les objets qu’il avait extraits du coffret de la vieille ! Il n’avait pas pensé, jusqu’ici, à les enlever et à les cacher. Même pas au moment où il examinait ses vêtements ! Comment était-ce possible ? Il se hâta de les sortir de ses poches et il les jeta au fur et à mesure sur la table. Quand les poches furent vides, il les retourna pour s’assurer qu’il n’y avait rien laissé et ensuite il transporta le tout dans un coin. A cet endroit, dans le bas du mur, le papier peint était décollé et déchiré. Il se mit à tasser les objets dans le trou entre le mur et le papier ; tout entra ! « Tout est hors de vue, et la bourse aussi ! », pensa-t-il, s’étant relevé et regardant stupidement le coin où la déchirure béait plus que jamais. Tout à coup, il frissonna d’horreur : « Mon Dieu ! », murmura-t-il désespéré, « qu’ai-je donc ? est-ce ainsi qu’il fallait faire ? est-ce ainsi que l’on cache quelque chose ? ».

Il est vrai, il n’avait pas compté prendre des objets ; il avait pensé qu’il n’y aurait que de l’argent, et pour cette raison il n’avait pas prévu de cachette. « Mais maintenant, pourquoi suis-je content, maintenant ? » , pensait-il. « Est-ce ainsi que l’on cache ? Vraiment, ma raison m’abandonne ! » Epuisé, il s’assit sur le divan, et tout de suite, des frissons le secouèrent à nouveau. Machinalement il tira à lui son ancien manteau d’étudiant qui était tout près, sur la chaise ; c’était un vieux manteau d’hiver, bien chaud mais tout en loques. Puis il sombra dans l’inconscience.